jeudi 8 janvier 2009

Michel Servet, otage de l'œcuménisme

Article paru dans le magazine Presse Réformée du Sud de janvier 2009. (Photo : statue de Servet à Montrouge)

Le 26 octobre 1553, Michel Servet est condamné au bûcher comme hérétique. Il est brûlé le lendemain. Nous peinons aujourd'hui à comprendre que l'enjeu de cette rigueur et de cette cruauté n'était rien moins que le maintien d'un dialogue entre protestants, catholiques et orthodoxes.


Michel Servet est né en 1509 ou 1511 en Aragon, à Villanueva de Sigena. Près d'un siècle avant l'Anglais Harvey, il est le premier à entrevoir le système de la circulation sanguine. Mais, comme beaucoup d'humanistes de son temps, il ne borne pas sa curiosité aux sciences médicales ou physiques et se laisse happer par les débats théologiques et religieux de son temps. En 1531, à l'âge de 20 ans, dans un petit livre intitulé De trinitatis erroribus (Les erreurs de la Trinité), il se permet de critiquer la pertinence du dogme de la Trinité : «L'essence divine est indivisible... il ne peut y avoir dans la Divinité diversité de personnes », écrit-il.


Touche pas à ma trinité

II entame une correspondance dis­crète avec Jean Calvin et publie en 1553 Christianismi restitutio (Restitution chrétienne) en réplique au livre fondamental de Calvin (L'Institution chrétienne). Tandis que Michel Servet sert l'évêque de Vienne (Dauphiné) en qualité de médecin, un ami de Calvin le dénonce à l'Inquisition catholique en dévoilant la correspondance entre les deux hommes.


Il est arrêté, mais arrive à s'échapper et ne trouve rien de mieux que de se cacher à... Genève. Il y est arrêté. Son procès donne lieu à un débat très vif. Le Grand conseil de Genève consulte les autres villes suisses avant de se prononcer sur la peine : la mort. Pressé par Farel qui le réprimande pour sa complaisance en faveur de Servet, et après avoir participé activement à une instruction du procès visant manifestement à charger Servet, Calvin se rallie aux partisans de la condamnation à mort.


Plus orthodoxe que mot, tu meurs !

L'universitaire Claire Salomon-Bayet nous donne la clef de cet acharnement contre Servet : « Ce n'est pas pour la mise en cause, incidente, de la doctrine médicale de Galien qu'il fut condamné et brûlé; ni pour un problème d'histoire des sciences que fut décidée l'érection du monument expiatoire de Champel à Genève, en 1903. Mais pour la publication d'un traité anti-trinilaire risquant, "en scandalisant toute la chrétienté", de déconsidérer la Réforme et de compromettre l'œuvre politique et civile de. Calvin à Genève ». Il suffit de lire les premiers articles de toutes les confessions de foi de la Réforme pour s'en convaincre. À la suite de la Confession d'Augsbourg, toutes commencent en effet par « les articles qui ne sont pas contestés » parmi lesquels figurent bien évidemment le dogme des deux natures et la doctrine de la trinité. L'enjeu, c'est dès cette époque, l'affirmation par toutes les confessions chrétiennes de leur orthodoxie et de leur catholicité (universalité).

Même si on ne brûle aujourd'hui plus personne pour les défendre, les bases doctrinales de cette orthodoxie et de cette catholicité sont encore aujourd'hui constitutives du mouvement œcuménique officiel et il est toujours malvenu de s'interroger à leur sujet.


Richard BENNAHMIAS

Journal Ensemble


La Trinité aujourd'hui

II n'est presque jamais question de la « trinité » dans la prédication et la catéchèse de nos paroisses. Rares sont les fidèles qui s'y intéressent. N'est-elle pas devenue une vieillerie à ranger au musée des antiquités chrétiennes ? En fait, elle continue à jouer un rôle important dans deux domaines. D'abord, dans celui des dialogues inter-religieux où pour certains juifs et musulmans cette doctrine conduit à admettre trois dieux différents. Ce n'est certes pas ce qu'elle entend dire, mais qu'on la comprenne aussi mal ne vient-il pas de ce qu'on lui a donné une formulation défectueuse et critiquable ?

Ensuite, actuellement, les Églises orthodoxes tentent de l'imposer et voudraient faire de son acception une condition d'entrée ou d'appartenance au Conseil œcuménique. Il ne suffirait pas d'affirmer l'autorité de la Bible et la foi au Christ seigneur et sauveur. Il faudrait professer la doctrine trinitaire telle que définie au IVe siècle par les conciles de Nicée et de Constantinople. Servet ne serait plus brûlé, mais exclu du Conseil œcuménique pour avoir voulu au nom et à partir de la Bible critiquer une formulation ecclésiale. Il y a donc une actualité de la doctrine de la trinité. Notons que les théologiens chargés de l'expliquer en proposent des réinterprétations parfois plus proches des thèses de Servet que de la doctrine conciliaire. Ils gardent l'appellation, mais lui donnent un autre contenu. Le fétichisme des mots existe toujours.


André GOUNELLE

Professeur honoraire

de théologie Montpellier


Institut Protestant de Théologie : http://www.iptheologie.fr

Eglise Réformée de France / Journal Ensemble : http://www.eglise-reformee-fr.org/rubrique.php3?id_rubrique=57